Titre : Rue Farfadet
Auteur : Raphaël Albert
Editeur : Mnémos – Hélios poche
Nombre de pages : 282
Panam, dans les années 1880 : les
humains ont repris depuis longtemps la main sur les Peuples Anciens.
Sylvo Sylvain a posé son havresac dans la rue Farfadet, gouailleuse à
souhait. Chapeau melon vissé sur le crâne, clope au bec, en compagnie de
son fidèle ami Pixel, il exerce la profession exaltante de détective
privé et les affaires sont nombreuses ! Des adultères à photographier,
des maris jaloux, des femmes trompées, etc. Ni très rémunérateur, ni
très glorieux que tout ceci. Alors, Sylvo fréquente assidûment les bars,
les cafés et les lieux de plaisir en tout genre où son charme envoûte
ces dames...
Jusqu’au jour où, lors d’une banale
enquête de routine, il se trouve mêlé à une machination dépassant
l’entendement. Le voilà, bien malgré lui, chargé de l’affaire par l’un
des trois puissants ducs de Panam. Saura-t-il tirer son épingle de ce
jeu compliqué et dangereux ?
Dans ce premier roman Raphaël Albert
déploie un art consommé de l’écriture. Il nous fait palpiter au rythme
d’une histoire passionnante de bout en bout. Il trousse avec style un
personnage attachant et original et invente un univers surprenant de
fantasy steampunk où l’on croise centaures taxis, motos à vapeur et
magie de bataille.
Vous aimerez :
- le style truculent
- l'univers multiréférencé
- l'humour
- le mélange des genres
- l'esprit politiquement engagé
Vous n'y trouverez pas :
- un rythme effrené
- un suspens à couper le souffle
Mon avis ?
Un coup de cœur dès le premier chapitre... que dis-je ? Dès la première ligne ! En quelques mots, Raphaël Albert instille un style plein d'humour et annonce tout de suite la couleur : il n'y en aura pas de précise, car ce sera un véritable feu d'artifice de mélanges ! Entre polar et fantasy, uchronie et steampunk, chaque phrase participe à la création d'un univers d'une incroyable richesse, tant sur le fond que sur la forme.
Le premier chapitre est, en cela, une réussite magistrale. Nous suivons un personnage, présenté ainsi aux premières lignes :
Martin, c'était son nom.
Martin le nain.
D'ores et déjà, nous naviguons entre des repères familiers (Martin, prénom francophone banal s'il en est (désolée pour les Martins qui me lisent !)), mais qui est un nain. Ensuite, l'auteur enchaîne sur une description de l'habitat du nain, qui vit en banlieue de Paname, la capitale, dont le plan et les caractéristiques aussi bien sociales que culturelles font bien entendu tout de suite penser à notre Paris. Un décalage, un glissement complet entre ce que nous attendons et ce que le roman présente vraiment, et d'un personnage nommé Martin, et d'un nain, et de l'endroit où il habite !!
C'est un Paris complètement revisité que nous découvrons dans les pas de Martin le nain, dont l'histoire se poursuit jusqu'à ce qu'un surprenant narrateur en "je" n'émerge.
Et oui ! Car bien entendu, ce n'est pas l'histoire de Martin que nous suivons, mais celle de l'homme qui suit Martin : Sylvo, un farfadet qui officie en tant que détective privé !
Autant vous dire, j'ai a-do-ré me faire surprendre par cette émergence tardive du vrai narrateur, qui n'intervient qu'au bout d'une dizaine de pages. Cela provoque un effet délicieux sur le lecteur que nous sommes : en effet, dès que la description de la journée typique de Martin le nain cesse, Sylvo prend la parole et la truculence du style n'en est que plus géniale.
Truculent par bien des aspects : l'humour, l'aspect troussé des phrases même les plus simples, le côté picaresque des aventures et, aussi, les références qui se croisent. Ce qui est génial, c'est qu'on n'a pas besoin d'être un spécialiste pour savourer lesdites références : on peut lire ce livre avec zéro culture ou s'amuser à repérer tous les clins d’œils qui le parsèment. Dans l'un ou l'autre des cas, le livre reste un délice ! J'ai dû louper pas mal desdites références, d'ailleurs, mais ça ne m'a pas forcément manqué. Au contraire, je me dis que c'est l'occasion de relire le livre d'ici 2 ou 3 ans, et de voir quelles références supplémentaires je décèle avec plus de recul. ;)
Il y a vraiment de tout, je peux vous le dire : ça va d'un personnage nommé Mère Michelle, qui a perdu son chat (si si si ^^), aux légendes obscures venant de pas mal de cultures différentes, comme un clin d'oeil à la culture indienne, italienne, etc. – ces références restent majoritairement européennes, cela dit, mais l'emplacement spatio-temporel de l'intrigue et du personnages rendent cela nécessaire. Forcément, le personnage est panaméen et a la culture d'un panaméen de Paname, pas d'ailleurs ! ;-)
En parlant de ce personnage, Sylvo, je l'ai trouvé attachant à tous points de vue : oh, oui, il est un peu macho ; oui, il est très cynique aussi ; et il boit énormément en plus d'être un fieffé fainéant... mais il est aussi courageux et plein d'allant, fidèle à lui-même, et surtout sincère et conscient de ses défauts (qu'il n'essaie pas pour autant d'améliorer, ce qui ne le rend que plus réaliste et attachant quelque part). J'ai trouvé le traitement du personnage extrêmement bien tourné. Cela est dû non seulement à la "voix" unique du personnage, fortement mise en avant par le style, mais aussi aux rapports qu'il entretient avec les autres figures qui traversent le roman : même quand celles-ci sont de pures crapules, Sylvo leur trouve d'une manière ou d'une autre une qualité qui les rachète. Couplée au cynisme éruptif mais jamais vainqueur de Sylvo, j'ai trouvé cela d'une remarquable subtilité, car ça en dit long sur le personnage non pas comme il se voit mais comme il est vraiment. Et ça, perso, ça a gagné mon cœur de lectrice. ^_^
Enfin, pour terminer,un dernier argument pour vous donner envie de lire ce livre : la narration est par bien des aspects innovantes et a-normative, je l'ai déjà dit pour le premier chapitre, mais c'est tout aussi vrai pour le reste du roman et, surtout, son épisode final. Je ne vous révèle rien de cette pirouette stylistique qui, plus qu'une pirouette, représente un vrai tour de force, mais je vous assure que tout le roman vaut le coup, ne serait-ce que pour ces deux retournements de situations qui se répercutent jusque dans la forme du texte.
En conclusion, si vous aimez les univers complexes et les personnages a priori superficiels qui se révèlent au final bien plus profonds qu'ils n'y paraissent, je ne peux que vous conseiller de vous jeter sur Rue Farfadet !! Un métissage réussi entre steampunk, polar et fantasy ; une pépite de style et d'humour !